Tandis que plusieurs grandes économies européennes, à l’image de la France, naviguent en eaux troubles sur le plan financier, le Portugal affiche une santé économique insolente. Le gouvernement minoritaire de droite table sur un excédent public pour la deuxième année consécutive, un scénario inédit depuis la Révolution des Œillets de 1974.

Lisbonne – Une performance qui interpelle. Alors que le Vieux Continent cherche son souffle, le Portugal s’apprête à boucler son budget 2025 avec un excédent public de 0,3% de son Produit intérieur brut (PIB), après un solde positif de 0,1% attendu pour 2026. Cette trajectoire vertueuse s’accompagne d’un désendettement massif : la dette publique est projetée à 90,2% du PIB en 2025, en baisse constante depuis les 93,6% de 2024.
Cette robustesse financière confère au pays une crédibilité rare sur les marchés. La preuve : le Portugal emprunte désormais à un taux d’intérêt inférieur à celui de la France, avec des obligations à 10 ans à 3,09% contre 3,5% pour son voisin. Une inversion de situation qui en dit long sur la confiance des investisseurs.
Le paradoxe portugais : rigueur budgétaire et stimulation de la croissance
Comment expliquer ce renversement ? Le pays, qui fut au bord du gouffre avec un déficit public abyssal de 9,1% du PIB en 2010, a su mener une transformation profonde. Le remède de choc, imposé par la BCE et le FMI, a combiné une austérité sévère – privatisations, hausses d’impôts, réduction de la fonction publique – à une stratégie agressive d’attractivité économique.
Selon une analyse de l’institut Rexecode, cette cure a été suivie, à partir de 2015 sous un gouvernement de gauche, par un rééquilibrage. L’État a alors instauré de nouvelles taxes ciblant la fortune et les produits de luxe, tout en déployant des mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages les plus modestes.
Le moteur de la croissance : investissements étrangers et boom touristique
Le véritable décollage, souvent qualifié de “miracle économique portugais” pour la période 2017-2019, est largement attribué à un afflux d’investissements étrangers et à l’explosion du tourisme. Le Trésor portugais souligne dans une étude une recomposition totale du marché de l’emploi, avec un essor marqué des secteurs de l’hôtellerie, du commerce et des services aux entreprises.
Les incitations fiscales et un coût du travail parmi les plus bas d’Europe occidentale – le salaire minimum s’élèvera à 1 015 euros en 2025 – ont agi comme un aimant. La France figure en tête des investisseurs, avec 17 milliards d’euros engagés et 750 entreprises, comme le géant de la domotique Somfy, générant 60 000 emplois locaux. Une communauté de retraités français, attirée par un régime fiscal avantageux, a également choisi de s’installer dans le pays.
L’envers du décor : la fracture immobilière et l’exode des jeunes
Cette réussite économique n’est pas sans ombre au tableau. L’afflux de capitaux et de résidents étrangers a provoqué une surchauffe immobilière historique. Entre 2015 et 2025, les prix ont grimpé de 124%, soit plus du double de la moyenne européenne, avec une hausse de 16% sur le seul premier trimestre 2025.
Cette flambée, qui profite majoritairement aux ménages les plus aisés selon Forbes, a creusé une crise du logement aiguë. Elle alimente un phénomène persistant : l’émigration de la jeunesse portugaise. Aujourd’hui, un tiers des Portugais âgés de 15 à 39 ans vivent à l’étranger, une saignée que le gouvernement tente difficilement d’enrayer par des baisses d’impôts.
L’instabilité politique, nouvelle menace à l’horizon
Malgré ces succès budgétaires, l’avenir du modèle portugais n’est pas assuré. Le gouvernement de centre-droit de Luis Montenegro, privé de majorité absolue, navigue dans un paysage politique fragmenté. La montée en puissance de l’extrême-droite (parti Chega), devenue la deuxième force du pays, introduit une dose d’incertitude dans la capacité de l’exécutif à mener à bien ses réformes jusqu’à la fin de son mandat, dans un contexte social tendu.
Le “miracle” portugais, s’il impressionne par ses chiffres, révèle ainsi toute sa complexité : un équilibre précaire entre discipline financière, attractivité internationale et cohésion sociale.